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22 août 2012 3 22 /08 /août /2012 19:09

Dr Lydia Rouamba

Le 16 avril 2009, l’Assemblée nationale du Burkina Faso a adopté une loi qui fixe un quota de 30% au profit de l’un et de l’autre sexe aux élections législatives et municipales. A l’approche des élections couplées du 2 décembre prochain, cette mesure passionne et divise les Burkinabè. Pour nourrir la réflexion, il est intéressant de camper les positions des unes, des uns et des autres sur la question et de faire quelques commentaires. Lisons à ce propos ce qu'en pense Lydia Rouamba, docteur en sociologie.

L’idée de quotas a pour but de prendre en compte et d’améliorer la représentation, c'est-à-dire le poids numérique d’un ou de plusieurs groupes minoritaires dans un domaine ou une organisation donnée. Le principe de quotas est défendu par les Nations unies qui considèrent que la «masse critique», c'est-à-dire la proportion de représentation qu’il faut, pour qu’un groupe minoritaire puisse constituer une force et défendre ses intérêts au sein d’une organisation, est de 30% (quota de 30%). Les quotas peuvent être basés sur la race, le sexe, la religion, la langue, l’ethnie, la région, etc.

Appliqué à la participation politique, le quota basé sur le sexe est une mesure formelle ou informelle de discrimination positive qui garantit la présence du sexe insuffisamment représenté, donc des femmes, dans différentes instances politiques selon un certain pourcentage. Au Burkina où la participation politique des femmes reste faible (15,3% députées et 6,1% de mairesses aux dernières élections), la loi adoptée permet, si elle est appliquée, de garantir au moins la présence de 30% de femmes sur les listes des personnes candidates aux élections législatives et municipales (par exemple au moins une femme s’il y a trois personnes candidates; trois femmes s’il y a 10 personnes, etc.) Selon la loi, les partis qui ne respectent pas cette disposition perdent 50 pour cent du financement public pour les campagnes électorales et ceux qui auront atteint ou dépassé le résultat de 30% d’élus de l’un ou l’autre sexe, bénéficient d’un financement public supplémentaire.

 

Des principaux arguments avancés au Burkina Faso

De façon globale, les femmes comme les hommes sont partagées sur la question. Et les femmes qui se sont battues pour se faire une place au soleil ne sont généralement pas d’emblée pour le système de quotas.

 

Les partisanes et les partisans de la loi

Pour ces personnes :

 

• La Constitution burkinabè consacre l’égalité entre les hommes et les femmes. Les femmes sont électrices et éligibles au même titre que les hommes. La participation politique des femmes à la vie politique est donc un droit et le gouvernement se doit de prendre toutes les dispositions pour le garantir ;

• La loi sur les quotas permet au pays de se mettre en conformité avec les instruments internationaux qu’il a ratifiés, notamment la Convention sur toutes les Formes de Discrimination à l’Egard des Femmes (CEDEF) ;

• Les femmes ont, en raison de leur socialisation et expérience du quotidien, d’autres compétences, interprétations et besoins. De ce fait, leur plus grande participation à l’exercice du pouvoir l'enrichira et leur permettront de répondre aux critères de démocratie, notamment à ceux de liberté, d’équité et de justice.

 

Les opposantes et les opposants à la loi

Les principaux arguments de ces personnes sont :

• Le système des quotas a un caractère humiliant. On ne saurait réserver un pourcentage inférieur à 50%, soit 30% pour les femmes, alors que plus d’un Burkinabè sur deux est une femme. Il faut aller à la parité, c’est-à-dire 50% ;

• L’humiliation réside également dans le fait qu’on a le sentiment que le pouvoir est donné aux femmes alors qu’il doit se conquérir, être mérité. Le principe de quota développe la médiocrité ;

• Le Burkina Faso est un pays avec un grand pourcentage d’analphabètes et il est difficile de trouver, surtout en milieu rural, 30% de femmes avec un minimum de formation, intéressées par des postes législatifs et municipaux ;

• En imposant un quota de 30%, les politiciens, pour  bénéficier du financement prévu dans le cadre de l’application de la loi et pour échapper aux sanctions prévues en cas de manquement, vont présenter des femmes, mais en positions non éligibles. Ce seront des femmes en queue de listes, des «femmes alibis», des «femmes fleurs» ;

• Même si quelques femmes étaient placées en positions éligibles, ce seront des femmes que les caciques des partis politiques «maîtrisent» ;

• Le pourcentage de 30% pourrait devenir un «plafond de fer», un seuil infranchissable ;

• Imposer un quota de 30% de femmes sur les listes électorales, c’est imiter l’Occident. Or il faut éviter de copier l’Occident ;

• etc.

 

Des constats sur le terrain

 

• La situation d’analphabétisme de façon générale et de celle des femmes en particulier a évolué positivement avec les années au Burkina Faso. Ainsi que l’a relevé la députée Véronique Kando que j’ai interviewée en 2007, on ne saurait invoquer le bas niveau d’instruction des femmes burkinabé pour expliquer leur faible représentativité en politique. Le Burkina compte nombre de femmes formées dans nos universités nationales, européennes et américaines. Le fait qu’il y ait seulement en 2012, 4 femmes sur 33 ministres, soit 12%, doit être expliqué par les grands enjeux complexes, voire du champ politique et non par le peu de nombre de femmes qualifiées ou intéressées par le métier politique. Au sein du gouvernement, les femmes et les hommes ont sensiblement le même bagage éducationnel.

• Les partis politiques prétextent plus souvent le manque d’expérience, l’analphabétisme et la timidité des femmes pour les écarter des postes de responsabilités, alors qu’on permet aux hommes de surmonter ces limites par l’exercice du pouvoir. Ce qui met en lumière le fait que la société est plus exigeante à l’égard des femmes que des hommes. Il convient même d’ajouter que le pouvoir concédé aux hommes crée l’illusion de leur compétence, c'est-à-dire que la parole de certains hommes politiques fait autorité, non en raison de son contenu mais parce que ces personnes occupent une place privilégiée. Autrement dit, certains hommes qui ont le pouvoir ne l’ont pas parce qu’ils sont compétents (plus que les femmes), mais sont compétents parce qu’ils ont le pouvoir ;

• Différents témoignages indiquent que la directive informelle du CDP sur les quotas a eu un impact positif sur l’accès des femmes aux postes électifs, surtout à ceux de conseillères. Il n’a pas encore été démontré que les femmes qui ont pu avoir la main au gouvernail grâce à cette disposition, aient des difficultés particulières pour assumer les fonctions confiées à la personne édile au Burkina.

• En matière de transformation des rapports sociaux de sexe et singulièrement de promotion des droits des femmes, les analystes et personnes observatrices de la scène politique burkinabè sont unanimes à reconnaître que c’est la révolution d’août 1983 qui a ouvert la porte politique aux femmes en imposant leur présence dans les structures révolutionnaires. Plusieurs femmes politiques (ministres, anciennes ministres, députées, gouverneures, mairesses et conseillères) que j’ai rencontrées en 2007 ont souligné le fait que c’est plus facile pour les femmes, en raison des différentes pesanteurs socioculturelles, d’être nommées que d’être élues. Une volonté politique qui impose des normes coercitives est donc indispensable pour propulser des progrès ;

• Et cette volonté politique forte qui invite les femmes à prendre part à la gestion de la cité atténue le sentiment de malaise que certaines éprouvent face à l’ambition et à la compétition. Les différentes sociétés burkinabè attendent des femmes qu’elles soient des égéries et non des guerrières. La constitutionnalisation de la participation féminine oblige aussi les hommes à faire de la place (méritée) aux femmes sans qu’il y ait trop de «casse» pour le bonheur de nos familles ;

• Enfin, que l’on soit pour ou contre le principe de quota en politique, nulle ne saurait méconnaître le machisme de la société burkinabè. Nos valeurs traditionnelles consacrent la préséance de l’homme sur la femme. Cette loi sociale fondamentale a, entre autres conséquences, la non-reconnaissance des mérites des femmes et le peu de considération accordé à leur parole. Dès leur jeune âge, les femmes au Burkina sont éduquées pour servir et non pour être en avant comme l’exige le métier politique. Le statut social accordé aux hommes, notamment à ceux mariés explique que le Président de la République, lui-même, prend le soin d’informer des époux avant de nommer leur femme, ambassadeure ou ministre, précaution qu’il ne prend pas auprès des épouses des ambassadeurs ou des ministres hommes.

La loi sur les quotas est donc un instrument juridique pour corriger les inégalités structurelles dont sont victimes les femmes ainsi que les préjugés qui les frappent. Permettre aux femmes, par des mesures constitutionnelles, d’exercer le pouvoir politique développe leur confiance et estime en soi. Le cas de la mairesse Véronique Somé est illustratif à cet égard. Elue conseillère en 2006, elle a voulu désister en faveur de son colistier et oncle. Pourtant, portée à la tête de la commune de Dano, elle fut, avec le soutien actif de son époux, en quelques mois, à l’origine de suffisamment de réalisations pour mériter le titre de meilleure personnalité politique 2008 de la région de l’Ouest. Aujourd’hui, il ne vient plus à l’idée de Somé de quitter la politique. «Même si je ne suis pas allée loin dans les études, je sais que je peux faire des choses comme celui qui a des diplômes universitaires», dit-elle.

 

Des améliorations à apporter à la loi

Des organisations des femmes, de la société civile et nombre d’analystes ont relevé des insuffisances de la loi sur les quotas en matière d’une promotion significative de la participation politique des femmes au Burkina.

La loi concerne, en effet, uniquement les fonctions électives. Or, pour être efficace, il faudrait, d’un côté, qu’il y ait un encadrement dans l’établissement des listes de manière à ce que les femmes soient placées en position éligible. Il faudrait donc qu’il y ait obligatoirement une alternance entre les deux sexes. De l’autre côté, il est essentiel d’étendre la loi aux fonctions nominatives. Tout se passe comme si les législatrices et les législateurs avaient aménagé un îlot très confortable pour les personnes qui détiennent le pouvoir de nomination (Président, Premier ministre, ministres) et particulièrement pour Blaise Compaoré dans lequel ils sont libres de s’entourer ou non de quelques égéries.

 

En conclusion

 

Malgré leurs insuffisances et les difficultés rencontrées pour leur application, les instruments juridiques à caractère coercitif telle la loi sur les quotas, peuvent s’avérer importants pour construire une société burkinabè plus équitable, où femmes et hommes travaillent côte à côte en vue de bâtir un développement durable. La loi sur les quotas en faveur de l’un et de l’autre sexe est une mesure transitoire nécessaire !

Je voudrais aussi dire humblement à chaque Burkinabè de sexe masculin, mon père, mon frère, mon époux, mon fils, etc., que quand on parle de promotion de droits des femmes, il ne s’agit pas uniquement des droits de Fanta votre femme, c’est-à-dire la fille d’autrui que vous avez épousée ou allez épouser : une femme que la tradition considère comme étrangère et qui vous doit soumission; une femme dont vous avez peur qu’une fois émancipée, elle échappe à votre contrôle. Cette lutte concerne aussi les droits de Aïcha, de Sandra, de Karine ou de Mariam, votre fille pour qui, vous travaillez ou allez travailler très dur pour lui assurer une éducation de qualité ; votre fille pour qui vous souhaitez une visibilité tant au niveau national qu’international.

Dr Lydia Rouamba

Palingwinde@hotmail.com

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