Août 2012 19:50
Le samedi 4 août 2012, une foule de manifestants, hostiles à l’exploitation artisanale de l’or dans le village de Holly, s’en est prise à la famille Kambou, soupçonnée de complicité avec des orpailleurs. Presque tout a été calciné et saccagé dans leur concession, et on déplore trois blessés dont un grave.
Il était 12h30 quand nous arrivions à Holly le dimanche 5 août 2012. La première personne sur qui nous tombons est Dilarè Etienne Kambou, un conseiller RDB de cette commune rurale. Il labourait son champ de maïs près de son domicile, une arme à portée de main. La daba d'un côté, le fusil de l'autre, car, explique-t-il, Samuel Kambou l’a menacé un jour de mort parce qu’il est hostile au projet d’orpaillage de l'intéressé dans le village.
Samuel Kambou est en effet celui dont le nom circule sur toutes les lèvres à Holly ces jours-ci. Pour les villageois, il serait le seul responsable du drame que vit le patelin, et reste donc l’homme à abattre. «Si Samuel remet les pieds à Holly, on le tue ; il nous a beaucoup fatigués ici», lance un habitant en colère. Après quelques minutes d’entretien avec le conseiller municipal, nous voilà chez le père de Samuel, transformé en ruine par des habitants furieux ; un saccage intervenu le samedi 4 août 2012 aux environs de 13 heures.
Nous découvrons un spectacle désolant en ces lieux : maïs, mil et pieds d’arachide arrachés ici et là ; des ustensiles de cuisine et des vêtements détruits et éparpillés dans la cour, des plumes de volaille répandus dans la concession, une moto APACHE, appartenant à l'incriminé, mise hors d’usage. A l’intérieur des maisons la flamme continue de lécher silencieusement le matériel, dégageant une odeur suffocante. La plupart des toits en terre battue ont été décoiffés et consumés ; même la douche et le W.-C. externe n’ont pas échappé à la furie. Au moins 80 personnes auraient participé à cette expédition punitive, selon nos sources. L’intervention de la gendarmerie de Gaoua a permis de limiter les dégâts ; c’est elle en effet qui a évacué dans le chef-lieu de la province du Poni les membres de la famille de Samuel. Le père et un oncle de Samuel ont été battus et tous deux blessés à la tête.
Mais comment en est-on arrivé là ?
Samuel Kambou est un jeune de 36 ans qui est né et a grandi à Holly. Il vivait avant ces événements malheureux avec sa femme et ses trois enfants dans la cour familiale. Il y a quatre ans, l’agriculteur troqua sa daba contre la pioche d’orpaillage, une activité dont une bonne partie des populations autochtones du Sud-Ouest ont une sainte horreur, notamment chez les Lobi, Birifor, Dagara, Djan, et Gan, pour qui l’or est un métal maudit et dangereux.
Nous sommes le samedi 4 août 2012. La plupart des habitants de Holly sont aux obsèques de leur chef de terre Ontoté Kambou, décédé la veille à l’âge de quatre-vingts (80) ans. Selon certains habitants, le défunt chef serait l’un des fils du fondateur du bled. En cette matinée de samedi, Samuel fait venir de Gaoua une équipe de techniciens pour l’aider à délimiter son champ, acquis, d’après lui, par héritage de sa mère et de son oncle. Les deux techniciens commis à cette délimitation sont Narcisse Somda, chef du service des Affaires économiques de la mairie de Gaoua, et un agent venu d’un service cadastral de Bobo-Dioulasso. Les deux techniciens sont conduis à Holly par un ami de Samuel du nom d'Omar Sawadogo, orpailleur de son état. A leur arrivée, Samuel se rend avec ses trois invités dans le champ, situé à environ deux kilomètres des habitations. Les travaux de délimitation commencent.
Depuis les lieux des funérailles, les populations sont informées de l’opération. Comme une traînée de poudre, une rumeur se répand dans tout le village, faisant état d’une tentative d’exploitation du précieux métal par Samuel. Armés de gourdins, de fusils, de machettes et d'autres objets contondants, les populations, très irritées, se précipitent sur les lieux, pressées d’en découdre définitivement avec le récalcitrant. Pris de panique, ses deux compères venus de Gaoua et de Bobo prennent la poudre d'escampette. Omar Sawadogo, lui, a eu moins de chance ; il a été rattrapé par la foule et copieusement battu, avant d’être évacué par la Gendarmerie au CHR de Gaoua pour y recevoir des soins.
Jusqu’au matin du dimanche 5 août, les villageois étaient encore sur le pied de guerre. Chez la notabilité défunte, où nous le rencontrons, le président CVD de Holly, Soninor Kambou, est formel : «Nous pouvons dire que c’est à cause de Samuel que notre village n’est pas en paix. Ce qui lui arrive aujourd’hui est la volonté de toute la cité. Son père et sa mère sont aussi complices. Ici à Holly, c’est dans leur seule cour qu'on est d’accord avec l’orpaillage». «On ne veut même plus les voir ici», martèle un jeune homme. Un autre, qui serait l’un des fils du chef défunt, ajoute : «L’or est interdit chez nous, disait mon père, il n’a jamais accepté qu’on creuse dans son village pour en chercher». Et un agent d’état civil d’assurer qu’aucun maire n’est venu les voir à Holly, ni un préfet. «Ce sont des foutaises», lance-t-il.
Nous avons voulu connaître la position des anciens sur cet incident qui divise ce petit village du Sud-Ouest, peuplé majoritairement de Birifors. L'un d'eux, âgé de 70 ans environ, confie : «L’or est notre totem. Il tue les hommes et même les animaux. On ne peut pas accepter qu’une seule famille détruise notre village». La bourgade dispose d’un CSPS et d’une école primaire de six classes. L’orpaillage artisanal, selon le vieil homme, va déscolariser leurs enfants comme partout où il y a eu cette forme anarchique d’exploitation de l’or.
Un des oncles paternels de Samuel est resté à Holly. Ce dernier et sa famille n’ont pas été inquiétés parce que non impliqués dans cette histoire d’orpaillage. L'épouse de Samuel, ses trois enfants ainsi que l’un de ses petits frères ont d’ailleurs trouvé refuge auprès de cet oncle, laissant derrière eux maisons et biens détruits par les flammes. Dans la famille de l’oncle, de jeunes élèves en vacances prennent le thé au son de la musique. Derrière la maison, on continue de fumer dans un four bâti en banco neuf poulets abattus par les manifestants de la veille. Un jeune homme nous confie qu’une vingtaine de volatiles a été ainsi tuée, la plupart calcinée.
Nous sommes ensuite conduits au champ que Samuel aurait voulu faire borner. Il était environ 16 heures ce dimanche. Une escouade de 15 personnes du village nous y escortent. Le chemin, nous l’avons fait à pied. Le terrain en question reste non exploité. Ceux qui nous accompagnent nous font savoir qu’il est mis en jachère et qu’aucun lopin de terre ici n’appartient ni à Samuel ni à aucun membre de sa famille.
Nous quittons Holly autour de 16h30, au moment où quelques jeunes du village, encore furieux, tentent de démolir ce qui reste des murs qui ont résisté au courroux de la foule.
Retour à Gaoua. Nous avons rendez-vous avec Samuel, retranché dans une petite pièce avec huit autres membres de sa famille dont son père et sa mère (elle siège comme conseillère CDP au Conseil municipal de Gaoua). Les neuf refugiés déclarés persona non grata à Holly ont encore les stigmates du drame de la veille. Visiblement désespérés et craintifs, le père et l’oncle de Samuel, blessés à la tête, portent toujours leurs vêtements ensanglantés. Ils n’ont plus rien sur eux : «Ils m’ont tabassé, je ne sais pourquoi», dit, en sanglots, le géniteur de Samuel, encore ébaubi. Quelques minutes de silence, et le vieux revient à la charge : «C’est la jalousie ; on veut seulement nous faire quitter notre village, mais, s’il plaît à Dieu, on retournera un jour à Holly, on est né à Holly on a grandi à Holly».
Pour sa part, le principal incriminé dans la tragédie, Samuel Kambou, nous relate, les larmes aux yeux, ce malheur qui tombe sur lui et sa famille. Il reconnaît avoir entrepris une opération de bornage, mais pour, dit-il, préserver le champ, qui lui aurait été octroyé par ses parents : «Même s’il y a de l’or dans ce champ, nous n’y étions pas allés pour cela. Le terrain nous appartient, les deux champs jumelés appartiennent l’un à ma mère, et l’autre, à mon oncle». Tout comme son père, Samuel pense que ce qui leur arrive relève de la pure jalousie. «Certains veulent retirer notre champ pour en faire un bosquet», affirme-t-il. Des arbres sont d’ailleurs plantés en ces lieux par des habitants du village.
L’agent municipal responsable des Affaires économiques, Narcisse Somda, que nous rencontrons le lundi 6 août au matin, lève un coin du voile : «Samuel est venu nous contacter pour avoir la propriété d’un terrain par héritage au niveau de Holly. Dans la procédure, il faut d’abord délimiter, pour pouvoir la borner, la superficie et disposer enfin du titre foncier du terrain. Nous lui avons dit, tenant compte de la procédure, qu’il fallait d’abord une entente au sein de la famille. Nous sommes allés écouter la famille avant de procéder à la délimitation du terrain. La délimitation ne se fait pas par les services communaux, mais par les services cadastraux. Et le service cadastral dont le Sud-Ouest relève se trouve à Bobo-Dioulasso. Alors ce service du cadastre a envoyé un agent pour l’opération.
Etant hors de Bobo, nous nous sommes vus obligés de l’accompagner. Un ami de Samuel nous a accompagnés depuis Gaoua. Une fois sur le terrain, nous sommes allés d’abord dans la famille, qui nous a encore assuré qu’il n’y avait pas de problème ; ce qui nous a permis d’aller commencer les travaux. Pendant qu’on délimitait, un appel téléphonique nous a informés que les populations étaient en train de se diriger vers les lieux. C’était avant midi. Je me suis dit que si c’est vraiment le cas, c’est qu’il y a anguille sous roche et que la population n’est pas d’accord. Alors nous avons dit d’arrêter les travaux et de partir. Parce qu’en pareilles circonstances, il n’y a pas à expliquer. Donc nous sommes partis, et c’est quand on est arrivé à Gaoua qu’on a appris que l’ami de Samuel a été agressé». Narcisse Somda a par ailleurs ajouté que Samuel lui aurait dit qu’il voulait borner le champ pour en faire un verger et y pratiquer également l’agriculture.
L'or a une couleur politique
Cet événement malheureux de ces derniers jours à Holly n’est pas un cas isolé dans ce village : en 2010, un problème d’orpaillage avait failli occasionner des morts, et le même Samuel était au cœur du feuilleton si bien que quand bien même ses intentions auraient été saines ce coup-ci, ses antécédents ont sans doute joué contre lui.
L’orpaillage au Sud-Ouest aurait parfois une coloration politique. Selon certaines sources, des autorités locales seraient lourdement impliquées dans l’exploitation artisanale de l’or, notamment des maires et des préfets.
D’autres même seraient propriétaires de trous d’or sur les sites d’exploitation. Il est donc difficile pour l’instant de mettre fin à l’orpaillage traditionnelle dans la région du Sud-Ouest sans un engagement politique réel de tous les acteurs de notre pays. La commune de Gaoua, dont relève Holly, a pris en mai 2010 une délibération interdisant l’exploitation artisanale de l’or sur toute l’étendue du territoire communal. Mais les jeunes communes n’ont pas toujours les moyens de faire appliquer les textes, et la pratique perdure ! «Tant que l’autorité que nous sommes, avec la gendarmerie, ne mettra pas de l’ordre là-bas, Holly sera ingérable», confesse le 1er adjoint au maire de Gaoua, Yao Mensah Jean-Baptiste Sib. Il regrette cependant cette façon qu'ont les populations de se rendre justice. «Je ne comprends pas pourquoi la population se rend elle-même justice ; il faut que la tutelle même nous aide sur le cas Holly».
Le mercredi 8 août, nous rencontrons le Substitut du Procureur près le Tribunal de Grande instance de Gaoua, Abdoul Kader Nagalo, qui assurait l’intérim du Procureur, en mission. A notre grande surprise, il nous fait savoir qu’il venait à peine d’être officiellement informé et par téléphone par la Gendarmerie des événements de Holly. Une enquête serait en cours. Elle permettra peut-être de situer les responsabilités, de faire la part des choses et d’éviter d’autres situations conflictuelles dans ce village.
Aux dernières nouvelles, Omar Sawadogo (l’ami de Samuel), qui a été frappé et gravement blessé à la tête, est toujours interné au Centre hospitalier régional de Gaoua, mais ses jours ne seraient pas en danger.
Hamadou Lougué